Son garage est devenu son petit monde.

Quatre heures du matin et il y a encore de la lumière au garage. Quand tout sera terminé ou que la fatigue le gagnera, il rentrera.

En ouvrant les yeux le matin, je trouve, sur la table de la cuisine, la liste des choses qu’il entreprendra dans la journée. C’est une feuille 8 ½ x 14 pleine de haut en bas.

Son garage est devenu son petit monde. Ce qui n’a pas changé ou presque. Il peut, à cet endroit, essayer de reconstruire l’homme qu’il était avant l’accident. Il est certain de ne pas avoir tout perdu, que la mécanique est l’une des activités qui est demeurée intacte dans sa tête.

Je ne comprends pas, je me fâche. Je le sens fatigué et ces nuits dans cet endroit ne l’aident pas, à mon avis. J’ai le goût de l’ignorer, de faire semblant que je ne me rends compte de rien mais, ça me déchire. Je sais aussi que les émotions sont amplifiées au centuple et malgré tout ce qu’il a subi comme séquelles, il s’est mis en tête de redevenir comme avant.

C’est à force de dialoguer et d’exprimer ce qu’il désire qu’il se rend compte du possible et parfois, de l’impossible réalisation des projets qu’il caresse. Avec le temps et beaucoup de patience, les projets deviennent plus « raisonnables ».

Je crois que j’essaierais, tout comme lui, de tout entreprendre en même temps pour que ma vie reprenne le plus rapidement possible son cours normal. Peu à peu, je me suis rendue compte que la mécanique était peut-être sa vraie porte de sortie. Je veux l’aider mais comment? Il a vraiment comme objectif de prouver aux gens qui l’entourent et qu’il aime qu’il est encore fonctionnel et surtout pas paresseux. Personnellement, j’y vois un énorme problème, il en fait trop, il a de la difficulté à doser. Il s’épuise lentement.

Comme la tâche est énorme, le découragement le guette. C’est alors que les émotions prennent le dessus. Tout ce qui devrait être rationnel ne l’est plus. Pour un rien, une tempête éclate. Comme j’ai de la difficulté à mettre le doigt sur ce qu’il veut vraiment, il se sent incompris. Parfois l’élément déclencheur est trouvé, la crise passe. Si je ne trouve pas, je déclare une journée « On marche sur des œufs ». Tant que la source du problème ou de l’angoisse n’est pas trouvée, on fait attention. À ce moment-là, je trouve ça difficile car je suis coincée entre les garçons et papa. J’ai alors besoin dans ces moments, de prendre du recul, prendre du temps pour moi, question de réfléchir, d’analyser la situation. Je dois sortir de la maison. Je vais puiser dans l’une des deux familles l’énergie nécessaire pour continuer. J’amène souvent le plus jeune avec moi car, il a tendance à argumenter. Ce n’est pas le moment, il ne comprend pas, je lui expliquerai plus tard.

Heureusement, plus le temps passe, plus le retour au calme s’effectue relativement plus calmement. Je crois que ces crisettes sont une façon de dire qu’il en a assez de travailler sur sa personne. Assez d’apporter des améliorations qui ne tiennent pas longtemps et qu’il a hâte de redevenir maître de sa vie.

Comme dans toute relation de couple, on finit par se connaître. Les réactions deviennent prévisibles car il y a un vécu. Là où il y a un problème, c’est quand une nouvelle cause de stress se présente. Il faut recommencer le questionnement pour détecter ce qui est à l’origine de ces sautes d’humeur.

Je me rends compte, toujours avec le temps, que je ne suis pas nécessairement la responsable de ses changements d’humeur. Une pièce de moteur qui manque ou qui arrive en retard peut devenir une source de découragement. Par contre, il m’est un peu plus facile à ce moment de trouver une solution car il est d’ordre technique, il n’est pas causé par une émotion. Quand les émotions entrent en scène, c’est plus difficile à identifier.

Je suis témoin de la somme des efforts journaliers qu’il doit entreprendre pour se rapprocher de l’homme qu’il était avant l’accident. Je m’aperçois que les gens qui l’entourent sont des personnes en qui il a confiance et qui l’aident beaucoup, surtout quand elles lui disent qu’il fait des progrès dans ce qu’il entreprend.

De mon côté, j’ai dû souvent mettre de l’eau dans mon vin et faire preuve de patience. Trouver les bonnes questions et surtout, attendre le bon moment pour les poser. J’ai dû accepter de ne pas l’aider à certains moments. Pas parce que je ne le voulais pas mais parce que de mon côté je manquais d’énergie. Il m’en prend beaucoup.

Je sais qu’il ne parviendra peut-être pas à atteindre à 100% son objectif, celui de redevenir comme avant. Par contre, l’homme avec qui je vis a de grandes qualités. J’aimerais avoir une partie de sa détermination, et surtout la volonté de me relever après une épreuve telle que la sienne.

Depuis près de quatorze ans maintenant, j’ai participé ou j’ai été le témoin journalier de sa reconstruction. Il n’est pas satisfait et y travaille encore. Il veut se dépasser. Il me donne encore des leçons de vie… J’apprends à ses côtés.

Carole, conjointe